Le numérique responsable ne consiste pas à revenir à l'âge de pierre
Alors que les entreprises sont submergées de recommandations climatiques, l'usage immatériel du numérique semble exempt de toute introspection. Un service numérique pollue, coûte et n'échappe pas à la règle. Les solutions existent, encore faut-il les chercher au bon endroit: diminuer l'utilisation, la facture et les impacts environnementaux des services numériques est une action concrète à portée de main...
En 2023, le secteur du numérique dans sa globalité a plus d'impact sur le climat que toute l'aviation civile mondiale. L'extraction minière et les métaux rares sont les principaux facteurs contributeurs de ces impacts: acidification des sols, pollution des nappes phréatiques, diminution de la biodiversité et destruction des écosystèmes. Les appareils destinés au grand public représentent deux tiers de l'empreinte globale du numérique de par leur nombre exponentiel. Alors que chacun peut agir individuellement pour limiter la surconsommation de matériel informatique, quels sont les facteurs sur lesquels les entreprises peuvent intervenir, et à quel coût ?
L'ensemble des réseaux et datacenters contribuent eux, à un peu plus d'un tiers de l'empreinte du numérique. Contrairement aux appareils individuels des consommateurs, 80% des impacts des datacenters sont liés à leur utilisation intense. Au-delà de la symbolique et de la bonne gouvernance, il est temps que les acteurs du numérique assument la responsabilité de l'utilisation du cloud et de leurs services numériques.
Buzzification
Le secteur du numérique n'échappe pas à l'émergence de nouveaux qualificatifs et au greenwashing, mis en place pour se donner bonne conscience dans le meilleur des cas, ou pour s'autoproclamer expert du domaine et en retirer un avantage quelconque d'autre part. Les initiatives et les amalgames se multiplient et se déchirent, les experts se battent pour la reconnaissance d'être le premier à l'initiative la plus verte, et les entreprises sont tiraillées entre la conscience de l'importance du sujet et le manque de cohérence globale du domaine.
Les associations et institutionnels se retrouvent en concurrence avec les alliances privées mises en place pour valoriser leurs propres consultants. Le but ultime: exploiter financièrement un besoin émergent et profiter du flou et de l'absence de référentiel à l'échelle mondiale pour créer des certifications vides de substance, sans suivi et sans vérification par une autorité de confiance.
Néanmoins, certaines initiatives et certains gouvernements sont en avance. Nottons le réseau européen ISIT, le SDIA Allemand, le gouvernement Français, et d'autres projets isolés mais grandissants. Ces initiatives conjointes indiquent une prise de conscience et une volonté forte d'agir dans le sens d'un numérique plus responsable.
Prise de conscience
Les entreprises commencent à prendre la mesure du problème et les grands groupes incluent déjà le numérique dans leurs politiques RSE, les associations des grandes entreprises et administrations publiques donnent le ton avec des publications de référence en ligne directe des instances européennes: le numérique sera durable, responsable et tiendra compte de l'impact sociétal et environnemental du secteur.
Les associations grandissent au-delà des frontières et alimentent ces initiatives avec des études sur base de faits établis et mesurés. Les recommandations sont nombreuses et nécessaires pour guider un marché dans lequel tout semble illimité.
Retour vers le futur
Le numérique responsable ne consiste pas à revenir à l'âge de pierre et oublier la technologie, au contraire, il s'agit d'identifier les outils numériques qui répondent à un besoin clairement identifié et de les inscrire dans une démarche de sobriété technique totalement transparente pour les utilisateurs.
Par contre, ce n'est pas qu'avec des procédures ou des grands principes que l'on y parviendra, les services numériques sont éminemment complexes et sont mis en place par des personnes de terrain, les développeurs. C'est à ce niveau qu'il faut agir pour obtenir des résultats tangibles.
Les outils disponibles et les techniques actuelles pour mettre en place un service numérique sont bâtis sur un modèle ou les ressources matérielles ne font pas partie de l'équation tant elles sont abondantes. Les logiciels applicatifs tant opensource que propriétaires n'intègrent simplement pas ces considérations de manière structurelle. Ceci explique la difficulté rencontrée pour réduire l'empreinte d'un service numérique, autant au niveau de l'utilisation du réseau qu'au niveau des machines à l'intérieur des datacenters.
La tentation est donc grande de prioriser des actions plus abordables telles que réduire l'utilisation des imprimantes, ou limiter les pièces jointes par email… Toutes les mesures vont dans la bonne direction, mais il ne faudrait pas que ces petits arbres plantés ne viennent cacher la forêt des actions à réaliser en matière de conception responsable des services numériques et de leurs impacts cachés sous couvert du cloud.
Des gains réels
La conception responsable des services numériques est un vrai levier économique qui permet d'élargir la base client en étant plus inclusif, mais beaucoup plus significativement, de réduire la facture de l'infrastructure informatique des entreprises. Certains systèmes disruptifs permettent de réduire la complexité des systèmes IT et peuvent réduire les besoins matériels par dix. Les systèmes sont alors plus facile à maintenir et à faire évoluer, fait non négligeable au vu de la pénurie de profils IT sur le marché.
Cependant, au risque de déplaire, il est utopique de s'imaginer pouvoir résoudre un problème structurel avec les mêmes techniques et habitudes qui ont favorisé cette dérive initialement. Oui, il faut changer de manière de concevoir des services numériques. Oui, il faut tout refaire pour prendre en compte les nouveaux enjeux. Et oui, le ROI est au rendez-vous.